Ces derniers temps, les mobilisations contre la politique du gouvernement ont pris des formes « symboliques », « spectaculaires », « créatives », selon les propos journalistiques qui en ont rendu compte. Ces mots ne renvoient pas aux mêmes sens. Symboliques met en avant la dimension signifiante de ces actions, spectaculaires en traduit l’impact fort, créatives révèlent la part d’inventivité qu’elles ont mise en jeu.
Peut-on repérer des tendances ?
Il s’est parfois agi d’exposer son métier, pour en magnifier l’essence, face à une politique vue comme une menace pour l’existence de la profession. Les danseuses de l’Opéra ont ainsi donné sur le parvis du théâtre un Lac des Cygnes dont la foule a pu apprécier la grâce particulière, d’autant qu’elle était accessible à tous, à la manière d’un présent chorégraphique offert à Paris.
D’autres ont mis leur métier et leur art au service de la cause à défendre. Une vidéo a été de nombreuses fois partagée : celle du discours des voeux de Sybille Weil, présidente de Radio-France, interrompu par le Chœur de Radio-France entonnant « le chant des esclaves » de Verdi, Choeur qui devrait être amputé d’un tiers de ses effectifs.
L’orchestre de l’Opéra Bastille a aussi choisi cette option. Donnant un programme en haut des marches de l’établissement, le concert s’est achevé par une Marseillaise qui sonnait comme un appel à la cohésion nationale face à une réforme qui n’a pas de majorité populaire.
Certaines professions sont allées plus loin en détournant leurs outils professionnels de leurs fonctions initiales, afin de mettre en scène leur refus. On a pu voir des avocats jeter leurs robes aux pieds de la ministre Belloubet, comme on rend son tablier à une maîtresse impossible.
Dans la même veine, les agents ont lancé leurs codes des impôts devant un directeur régional des finances publiques tentant de faire bonne figure.
Mais parfois, la création déborde le domaine professionnel et accède à la parodie. Elle permet d’amplifier le message car elle le raccorde à des références. En outre elle déforme l’original et le passe à la moulinette du grotesque. La chanson « À cause de Macron », qui se double d’une chorégraphie appropriée, s’est ainsi invitée à plusieurs reprises dans les manifestations.
Ces différentes techniques (la revue n’est pas exhaustive) ont été employées à un moment où les mobilisations accédaient à une moindre visibilité, notamment en raison de l’affaiblissement des grèves du transport. Or, même si le nombre des manifestants baisse, ces actions possèdent une dimension visuelle, facilement partageable sur les réseaux sociaux et donc potentiellement virale. Leur impact peut dépasser celui d’une manifestation, même fournie.
Par conséquent, ce serait une erreur de voir dans ces expressions quelques exemples pittoresques. La mise en scène n’est pas seulement un fard destiné à rendre un visage plus éclatant. C’est un véritable acte de langage, en ce qu’il modifie la situation, et en l’espèce inscrit le symbole au coeur de la ville. L’expression action symbolique est parfois synonyme d’action un peu vaine, un peu vide. Or le symbole est avant tout un signe qui renvoie à un autre signe et lui donne une représentation susceptible d’allier le général au particulier. En ce sens, la symbolisation ne devrait jamais être ce qui reste quand un mouvement social s’essouffle, mais devrait être érigée au rang de ligne éditoriale d’un discours social en acte dans l’espace urbain.
De ces quelques observations, on peut tirer un vade-mecum des techniques propres à éditorialiser le mouvement social dans les espaces urbains, autrement dit, des techniques propres à le constituer en un discours structuré, déployé dans la ville, visible, partageable et engageant :
exposer son métier dans son activité concrète ;
mettre son métier au service du mouvement, considérer le mouvement social comme son employeur ;
détourner ses outils professionnels et en faire les accessoires de ses revendications ;
employer la parodie,
employer le pastiche.
À compléter…