Or donc, hier était un jour de grève, une grève très suivie contre le projet de réforme des retraites que le gouvernement souhaite entreprendre.
En ce qui concerne le mot grève, on oublie parfois son origine. Il vient du latin grava qui signifiait gravier, plage, cette même plage qu’en 1968 on chercha sous les pavés. La grève, en langue française, est donc d’abord un terrain sableux bordant l’océan ou un cours d’eau. À Paris, le mot prend une majuscule au XIXe siècle et intègre le nom de la place de Grève, au bord de la Seine, où se rassemblaient les ouvriers attendant l’embauche.
Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet, « Place de Grève », 1753.
Ainsi, en 1805, « faire grève » signifiait délaisser son ouvrage pour demander une augmentation de salaire, bien que l’emploi de l’expression fût alors rare. « Être en grève », autre expression née à cette époque, mais plus répandue, avait le sens de chercher du travail, comme les ouvriers qui attendaient l’embauche place de Grève. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que le mot prend son sens contemporain de Cessation volontaire et collective du travail. Un siècle plus tard, le sens s’élargit à celui d’arrêt d’une activité, quelle qu’elle soit, comme dans grève de la faim ou grève de l’impôt.
Retraite, de son côté, est issu du latin retrahere, tirer en arrière. Le sens actuel du mot a des connections avec son étymon. En effet, qu’est-ce que la retraite sinon se « tirer en arrière » de la scène professionnelle, se retirer de son activité ? Mais se retirer pour aller où ? Peut-être dans son retrait, mot de la même famille, qui signifiait refuge aussi bien que lieu d’aisances… Se retirer, donc, pour se protéger mais peut-être aussi pour… évacuer !
C’est ainsi qu’une grève pour un droit à la retraite porte les motions inverses d’une avancée à découvert, mais d’une avancée pour gagner le droit de se retirer. Même si parfois c’est la retraite elle-même qui semble se retirer, s’éloigner, avec l’augmentation continue de l’âge légal de départ.
Toujours est-il que chacun et chacune, quelle que soit son opinion, sent que se retirer n’est pas pour l’heure une bonne option. N’oublions pas que la retraite, dans son acception militaire, signifie la défaite et charrie des références historiques lourdes, surtout lorsqu’elle se situe en Russie.
« Retraite française », Illarion Pryanishnikov, 1874.
Tout au contraire du mouvement arrière de la retraite, il s’agit d’avancer. Face aux débrayages d’hier, historiques eux aussi, à leur manière, Gilles Legendre, patron des députés LREM, l’a dit : « Nous ne calerons pas », évoquant une auto dont le moteur peine à embrayer. Il s’agit aussi de combattre, comme l’exprime Jean-Luc Mélenchon, en affirmant que le « bras de fer » a commencé.
Bref, il s’agit d’agir avant que d’être agi, sous peine, pour Emmanuel Macron, de subir une « hollandisation », voire une « chiraquisation », si d’aventure le mouvement social (avancée ou retrait(e)) connaissait une « jaunisation ». Le suffixe -isation, employé pour forger un nom signifiant une action, désigne clairement la menace : une métamorphose en François Hollande ou Jacques Chirac, ces anciens présidents que l’actuel avait érigés en « Rois fainéants ». Quant à la « jaunisation » de la grève, elle évoque davantage une peste pour laquelle un vaccin reste à découvrir.
Là encore, c’est l’urgence d’agir qui prévaut. On ne peut qu’entendre le silence assourdissant d’une absence remarquée : celle du champ lexical de l’écoute.
Et pourtant, c’est peut-être par là qu’il faudrait commencer ?